La présence des femmes dans le champ des STEM est une question de droits humains

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Au milieu des années 1900, les femmes étaient nombreuses à travailler dans le domaine des sciences, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques. Quelques décennies plus tard, elles semblent pourtant avoir bien des difficultés à s’y faire une place. Se sont-elles simplement désintéressées de ces métiers ? La réalité est évidemment plus complexe…

Dans les écoles et universités du monde entier, les femmes ne représenteraient que 35% des étudiants en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques (STEM) d’après l’UNESCO. La situation n’est guère meilleure ensuite sur le marché de l’emploi. L’International Labour Organization a étudié dix pays et obtenu une moyenne de 38,2% de femmes travaillant dans ces secteurs. Aux Emirats Arabes Unis, ce taux n’est que de 15%. C’est aux Etats-Unis et en Serbie qu’il est le plus élevé : il y frôle alors péniblement la parité, avec 48% de femmes.

Comment expliquer ces chiffres ? Les femmes sont-elles vraiment collectivement désintéressées des STEM ? Pour comprendre ce phénomène, un saut dans le passé s’impose.

Les premiers programmeurs étaient… des programmeuses

Ada Lovelace (1840) – Jeu N°1 : On te propose d’acheter le NFT de ce tableau, que fais-tu ?

Les femmes ont fait partie des pionnières des sciences et technologies. Il y a bien sûr les figures emblématiques comme Marie Curie, une scientifique polonaise qui a obtenu un prix Nobel de physique avec son époux pour leurs recherches sur les radiations, puis un de chimie pour ses recherches sur le radium et le polonium, ou Ada Lovelace, une comtesse anglaise du 19e siècle qui a co-créé la machine analytique et rédigé les premières suites de calculs exécutées par une machine.

Mais au-delà de ces destins d’exception, il y a eu une période où les femmes étaient nombreuses, voire majoritaires dans certaines équipes. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’ancêtre de la NASA employait par exemple 80 calculatrices. Elles étaient chargées d’étudier les trajets balistiques de l’armée américaine à l’aide d’analyseurs différentiels.

Six de ces expertes (Marlyn Meltzer,  Jean Bartik, Frances Spence, Kathleen Antonelli, Ruth Teitelbaum et Betty Holberton) furent ensuite choisies pour diriger l’équipe qui programma dans les années 1940 l’ENIAC, le tout premier ordinateur numérique fonctionnant de façon totalement électronique.

L’ENIAC pesait 30 tonnes. Pour “programmer” cette machine, il fallait manipuler à la main plus de 3000 commutateurs, et des centaines de câbles. – Jeu N°2 Cherche ton chemin dans le labyrinthe et trouve la source de l’interférence

Dans les années 1960, les femmes représentaient en tout entre 40 et 50% des effectifs dans le secteur informatique. En 1978, elles comptaient pour la moitié des étudiantes de ce domaine.

Avant 1990, l’informatique était une discipline inconnue. Un informaticien était perçu comme un scientifique travaillant dans des bureaux. Cette vision de l’ingénieur était ‘culturellement acceptable’ pour les femmes, davantage en tout cas que l’image de l’ingénieur en casque et bottes sur un chantier« 

Isabelle Collet, auteure du livre Les oubliées du numérique

Elles étaient tout aussi présentes dans d’autres domaines, tels que la conquête spatiale. “

« De nombreuses femmes, notamment racisées, ont travaillé pour la Nasa dès les années 1960, L’ouvrage Hidden Figures de Margot Lee Shetterly raconte bien ce rôle clé qu’ont eu plusieurs calculatrices et femmes scientifiques pendant l’exploration spatiale comme Katherine Johnson, Mary Jackson ou Dorothy Vaughan”. “Pendant des années, leurs travaux n’ont pas été reconnus à leur juste valeur

Nelly Lesage, journaliste chez Numerama

La grande désertion

L’équipe « Mercury 13 » – Jeu N°3 : combien de personne manque- il sur cette photo ?

Malgré ces apports indéniables à la recherche et aux disciplines STEM, les scientifiques féminines se sont rapidement vu fermer des portes. Aux Etats-Unis, la NASA a par exemple exigé dans un premier temps que ses astronautes soient des pilotes de chasse. Un métier… interdit aux femmes.

Dans les années 1960, il y a bien eu une tentative avec le programme Mercury 13. C’était un groupe de 13 femmes, qui ont d’ailleurs égalé les capacités des hommes astronautes recrutés. Mais le gouvernement américain a finalement dissous le groupe avant même la fin des tests qu’elles devaient passer…

Nelly Lesage

C’est finalement l’URSS qui enverra en 1963 la première femme dans l’espace, Valentina Tereshkova. Depuis, dix fois plus d’hommes que de femmes ont pu participer à une telle expédition.

Vers la fin des années 1980, on assiste parallèlement à un recul de la part des femmes dans l’informatique au niveau des études comme du marché de l’emploi, comme le souligne l’informaticienne et chercheuse Isabelle Collet dans un article dédié. Selon elle, plusieurs éléments peuvent expliquer ce changement, comme l’angoisse liée à la crise du secteur des années 1990 ou le fait qu’il n’existe pas de CAPES d’informatique à l’époque. Mais il s’agirait avant tout d’une question d’image.

« Tant que l’informatique était perçue comme un métier technique du tertiaire, les femmes ont pu y entrer relativement nombreuses. Mais avec la généralisation du micro-ordinateur, le modèle du hacker se diffuse auprès du public. Ce modèle, culturellement familier aux garçons, possiblement désirable, activant les fantasmes de pouvoir dans lesquels les garçons sont éduqués, est devenu hostile aux filles. Elles ont du mal à se projeter dans le prototype de l’informaticien car il est à l’opposé des valeurs pour lesquelles elles sont élevées et que la société leur renvoie, détaille-t-elle. Elles désertent alors les études d’informatique.

Isabelle Collet, auteure du livre Les oubliées du numérique

Aujourd’hui, le poids des clichés et de l’éducation persiste :

« La façon dont on socialise les garçons et les filles, dont on exprime auprès d’eux les possibilités d’orientations futures joue inévitablement. Et cela commence très tôt, dès la petite enfance.« 

Caroline Chavier, PDG de The Allyance, entreprise spécialisée dans le recrutement et la promotion de la diversité dans le monde de la tech.

Des stéréotypes genrés sont ensuite égrenés jusque dans les études supérieures.

« Encore dans les écoles d’ingénieurs, on entend des professeurs dire que les femmes sont faites pour la gestion de projet, et les hommes pour le code« 

Caroline Chavier,

Discriminations, harcèlement… Le sexisme entache la Silicon Valley

Une très chouette série TV – Jeu N°4 Il manque 50% de l’humanité sur cette photo, oui mais qui ?

À ce sexisme insidieux s’ajoutent des faits de harcèlement et des discriminations sur le lieu de travail, pour celles qui ont réussi à passer le cap des études. Outre son entreprise de recrutement, Caroline Chavier est également la cofondatrice du chapitre parisien de l’association WiMLDS (Women in Machine Learning and Data Science), qui compte à lui seul plus de 4200 membres.

Ce n’est pas complètement par hasard qu’elle et Chloé-Agathe Azencott l’ont lancé en 2017. Cette année-là, un employé de Google – depuis renvoyé – publie un manifeste conservateur et sexiste dans lequel il critique la politique de diversité de son entreprise. Il y écrit entre autres que les femmes seraient moins nombreuses chez Google à cause de “différences biologiques”, qui les destineraient plutôt aux “secteurs sociaux ou artistiques” qu’à l’informatique. Diffusé en interne, ce long texte combiné au mouvement #MeToo ont l’effet d’une avalanche.

Suivent en effet de nombreux témoignages de discriminations sexistes, de harcèlement ou d’agressions sexuelles au sein d’entreprises phares de la Silicon Valley. Dans la plupart des cas, les auteurs de ces faits n’avaient pas été inquiétés par leur direction, malgré les plaintes.

Il y a eu des progrès depuis sur la question, mais cela reste compliqué de signaler les faits, et encore plus d’obtenir ensuite réparation. Il y a une sorte d’impunité générale, que ce soit dans les écoles ou dans les entreprises, alors même que la loi est très claire sur ces sujets-là

Caroline Chavier,

Les entreprises seraient encore trop nombreuses à promouvoir la diversité dans leurs équipes uniquement “de façon cosmétique, pour embellir leur image.

Une question de droits humains

Pourtant, il s’agit selon elle avant tout “d’une question de droits humains”. Hormis la nécessité de lutter contre les discriminations ou atteintes aux femmes et personnes non-binaires au niveau interpersonnel, elle ajoute que le fait que les équipes restent majoritairement masculines pose aussi des problèmes au niveau global.

Les outils et technologies basées sur l’IA par exemple, nous les avons tous et toutes entre les mains. S’ils ne sont conçus que par une certaine frange de la population, ils ne seront pas inclusifs, et ils contribueront même parfois à perpétuer des discriminations plus anciennes

Caroline Chavrier

Parce que les algorithmes sont entraînés avec des bases de données parfois biaisées, les IA peuvent en effet reproduire des travers sexistes ou racistes.

Cela pose aussi la question de l’adaptation de certains appareils du quotidien. Le téléphone portable, explique la journaliste Caroline Criado-Perez dans un livre dédié, fait partie de ces objets qui ont été conçus en se basant sur des normes masculines.

On peut aussi songer à la manière de gérer les menstruations en mission spatiale : c’est encore un casse-tête d’organisation. Il n’y a aucune recommandation officielle pour gérer cette situation. S’il y avait davantage de femmes astronautes, ce sujet aurait peut-être été considéré plus sérieusement… et plus tôt.

Nelly Lesage

Au moment d’envoyer dans l’espace la première Américaine, Sally Ride, les équipes de la NASA avaient bien pris le temps de peser et même faire renifler à un professionnel des tampons hygiéniques pour savoir s’ils conviendraient dans une capsule confinée. Le fait de lui avoir demandé si 100 tampons seraient suffisants pour une semaine montrait cependant leurs faibles connaissances en la matière.

Il n’y a à ce jour qu’un seul cabinet de toilettes utilisable pour les personnes ayant leurs règles dans l’espace – il se situe dans la partie russe de l’ISS. Vous serez ainsi rassuré(e)s de savoir que la NASA s’est en revanche penché sur la création d’un kit de maquillage à l’attention des femmes astronautes dès 1978 !

Vous l’aurez compris, la parité n’est donc pas qu’une question de chiffres.

« Il faut non seulement soutenir et encourager les femmes, leur offrir des espaces d’expression bienveillants, mais aussi que les entreprises et les écoles de ce secteur soient enfin intraitables envers le sexisme. Il n’est plus tolérable aujourd’hui de voir les quelques role models féminins que l’on arrive à avoir supprimer leurs réseaux sociaux à cause du harcèlement subi, ou quitter leurs entreprises à la place de leur agresseur.

Caroline Chavier

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