Le monde de la tech est en ébullition depuis quelques années avec des innovations majeures qui ont contribué à transformer les entreprises, la société et l’individu. La prochaine révolution sera quantique.
Nous sommes les témoins privilégiés de cette quatrième révolution techno-industrielle où le monde entier peut être connecté depuis un simple smartphone, une tablette, une montre ou une console de jeux. Nous vivons une digitalisation massive qui instaure une période de rupture nette. Le tout digital avance à un rythme effréné, sans rien pour l’arrêter ou le ralentir. Les progrès dans le domaine informatique façonnent le monde d’aujourd’hui et de demain.
Moteur de cette nouvelle ère, en croissance toujours exponentielle, la donnée est produite en quantité, consommée et stockée à des niveaux jamais atteints par l’humanité. Les projections ne sont pas à la baisse surtout avec les usages de l’intelligence artificielle, de la démocratisation de l’IA générative, des objets connectés et de l’arrivée de réseaux de téléphonie mobile encore plus puissants. Ces données ont ouvert la voie à une nouvelle économie qui les exploite en offrant des services à valeur ajoutée principalement par les GAMAM, mais aussi par la production des instruments de traitement algorithmique qui ont aidé les scientifiques à trouver des solutions médicales, ou autres pour le bien de l’humanité. L’IA et les nouvelles technologies ont permis d’accéder, de partager et de générer des connaissances, qui étaient soit hors d’atteinte, soit inexistantes, parce que hors de portée et inaccessibles.
Chaque innovation a repoussé les limites du possible. L’évolution des ordinateurs a complètement révolutionné la vie humaine au-delà de l’imagination et continue de jouer un rôle important dans presque tous les aspects de la vie humaine. Si les ordinateurs classiques ont façonné le 20e siècle et le début du 21e siècle, l’invention des supercalculateurs va permettre d’aller pousser les limites pour développer un nouveau type d’informatique : l’informatique quantique.
Qu’est-ce que l’informatique quantique ?
L’informatique quantique est un domaine multidisciplinaire découvert au XXe siècle. Il englobe des aspects de l’informatique, de la physique et des mathématiques qui utilisent la mécanique quantique pour résoudre des problèmes mathématiques très complexes, plus rapidement que des ordinateurs conventionnels ou des supercalculateurs. Ce n’est pas de la fiction car certains principes du quantique sont déjà utilisés dans les transistors ou les fibres optiques. Elles utilisent des principes de l’interaction entre la lumière et la matière.
Les ordinateurs quantiques pourraient traiter des quantités d’informations des millions de fois plus rapidement en utilisant des qubits, généralement de petites particules (atomes, ions, photons ou électrons) qui détiennent des informations et se comportent selon les lois de la physique quantique. A cette échelle, les lois classiques de la physique ne s’appliquent plus, et nous passons donc aux règles quantiques.
Comment fonctionne l’informatique quantique ? Du bit vers le qubit !
Pour expliquer la différence entre ordinateur classique et ordinateur quantique, il est important de se rappeler ces deux concepts, parmi d’autres, de physique quantique :
- Le concept de la superposition : la capacité contre-intuitive d’un objet quantique, comme un atome, à exister simultanément dans plusieurs « états » différents. Un même état quantique peut posséder plusieurs valeurs pour une certaine quantité observable (position, quantité de mouvement, etc.). Lorsqu’une particule est en état de superposition, son état quantique n’est pas défini.
- Le concept d’intrication : l’intrication est un phénomène quantique dans lequel au moins deux particules partagent les mêmes propriétés. Quand on mesure l’état de l’une d’entre elles, les autres particules intriquées prennent instantanément la même valeur, indépendamment de la distance entre elles. Cette propriété est à la fois la source d’une des plus passionnantes controverses de l’histoire de la mécanique quantique, mais aussi le socle de développement de technologies qui feraient basculer l’informatique, la métrologie, les communications, voire tout Internet, dans une autre dimension. Mais de nombreux obstacles technologiques sont encore présents.
En effet, dans l’informatique classique, les données sont traitées dans un état binaire exclusif, qui est soit 0 (hors tension / faux), soit 1 (sous tension / vrai). Ces valeurs constituent des nombres binaires ou bits comme unités de données. Chaque bit peut stocker un 0 ou un 1. Les ordinateurs conventionnels sont donc limités lorsqu’ils doivent traiter de multiples variables en même temps. Les transistors par exemple ne peuvent être que dans un seul état à un moment donné. Dans ce cas, les ordinateurs doivent effectuer un nouveau calcul chaque fois qu’une variable est modifiée. Le passage d’un état à un autre se fait aujourd’hui en milliardièmes de seconde, mais la vitesse de changement d’état de ces éléments reste limitée, d’autant plus que nous devons gérer des quantités de données astronomiques. C’est à la lisière de ces limites physiques des matériaux que le seuil d’application des lois classiques de la physique est atteint et que le monde du quantique s’ouvre.
Les lois de la mécanique quantique utilisent des qubits qui peuvent représenter une combinaison de 0 et de 1 en même temps, selon le principe de superposition. Chaque qubit existe ainsi en multiple états de 0 et 1, simultanément. L’ordinateur quantique va ainsi exploiter le principe de l’intrication entre les qubits et les probabilités associées aux superpositions pour effectuer une série d’opérations, de telle sorte que certaines probabilités soient augmentées (les bonnes réponses) et d’autres diminuées (les mauvaises réponses).
Les deux principaux aspects de la physique quantique appliquée à l’informatique quantique sont ceux de la superposition et de l’intrication.
Où en sommes-nous ?
L’informatique quantique est toujours dans une phase de R&D malgré les annonces et les buzz lancés de temps en temps. Les investissements sont principalement concentrés sur le “hardware” pour la création des ordinateurs quantiques performants, mais la recherche algorithmique commence à trouver des terrains fertiles qui peuvent utiliser des simulateurs quantiques en finançant des thèses, des partenariats de recherche et la création des premières start-up dédiées à la partie software.
La course pour avoir une avance stratégique, militaire et commerciale est déjà lancée. Le marché de l’informatique quantique pourrait créer jusqu’à 850 milliards de dollars de valeur au cours des 15 à 30 prochaines années et révolutionner de nombreux secteurs : cybersécurité, finance, santé… selon une étude du BCG [1].
C’est la Chine en tant que chef de fil qui tire le secteur grâce à des investissements colossaux de presque 10 milliards de dollars, réalisés dans le domaine des communications quantiques où la cryptographie par satellite a été réalisée, grâce notamment au centre d’excellence de physique quantique de l’Académie chinoise des sciences (CAS) et des entreprises comme Origin Quantum Computing Technology Co [2].
Les Etats-Unis ont lancé en 2018 le National Quantum Initiative Act [3] qui engage le gouvernement à fournir 1,2 milliard de dollars pour financer les sciences quantiques. En plus de l’ouverture de trois centres de recherche entièrement dédiés à l’informatique quantique en Californie, dans l’Illinois et dans le Colorado pour rester leader dans ce domaine émergeant, les Etats-Unis ont signé un mémorandum [4] sur la sécurité nationale consacré à l’informatique quantique.
En France, un plan de 1,8 milliard d’euros sur cinq ans a été décidé début 2021 pour doper la recherche académique, structurer l’écosystème et former les talents. 1 milliard d’euros émanent de la puissance publique et les 800 millions restants devraient être la part qui revient aux acteurs industriels français (500 millions) en plus des financements européens (200 millions) et d’investisseurs liés à l’écosystème français de start-up (100 millions). La seconde phase de ce plan devrait entrer en action par une accélération de la commande publique. En 2022, la France a demandé au GENCI, au CEA et à INRIA de mettre en place une plateforme nationale de calcul quantique hybride pour un budget de 72 millions d’euros pour favoriser l’émergence d’un écosystème autour des technologies quantiques [5].
Parmi les centres de recherche actuels en informatique quantique qui investissent massivement, on trouve notamment le MIT, le CERN, l’université d’Oxford et le Los Alamos National Laboratory.
Par ailleurs, de grands groupes comme IBM [6], Google, Intel, D-Wave Systems, Tecent et Microsoft investissent aussi plusieurs centaines de millions de dollars dans la création des premiers ordinateurs quantiques. Ceux-ci sont fonctionnels, mais ils ne sont pas encore suffisamment matures pour apporter une véritable valeur ajoutée par rapport aux machines traditionnelles malgré les annonces marketing.
Boeing, JSR Corporation, Mitsubishi Chemical ou ExxonMobil ont déjà communiqué sur l’utilisation de cette technologie pour résoudre des problèmes complexes tels que les complexités de la chaîne d’approvisionnement ou l’amélioration de la chimie des batteries.
En France, ce sont Airbus, EDF et Total Energies qui sont les plus actifs dans le paysage industriel français.
Cas d’utilisation possibles des ordinateurs quantiques
Les ordinateurs quantiques et leur puissance de calcul devront accélérer les travaux et les recherches basés sur le deep learning, l’intelligence artificielle et la résolution de problèmes en cryptographie et de nouvelles perspectives encore inimaginables pour tous les secteurs.
Aujourd’hui, des secteurs tels que l’énergie et l’électricité, l’automobile, la chimie, le transport et la logistique, la santé, l’aérospatiale et la défense, l’informatique et les télécommunications, l’agriculture, l’industrie manufacturière et l’électronique deviendront les principaux utilisateurs finaux. En plus des applications dans le secteur économique, les ordinateurs quantiques sont pressentis pour résoudre les problèmes mondiaux tels que les maladies, les crises alimentaires et climatiques et créer un avenir plus durable. La crise climatique devient l’un des problèmes majeurs pour la population mondiale. Les ordinateurs quantiques peuvent aider à résoudre ces problèmes complexes en proposant toutes les solutions possibles et être utile pour diverses applications telles que les prévisions météorologiques, la gestion des déchets et la gestion de l’eau.
Exemples d’applications actuelles :
- Pharmaceutique : 1QBit utilise l’informatique quantique à des fins de comparaison moléculaire dans le développement de médicaments par une amélioration des prédictions des interactions médicamenteuses.
- Médecine : Cambridge Quantum, partenaire de recherche de Roche et Crownbio, développe une technique d’informatique quantique sur l’analyse des données génétiques pour le traitement du cancer.
- Automobile : Volkswagen s’est associée à Google pour utiliser l’informatique quantique pour la conception de ses véhicules autonomes et développe des algorithmes de routage efficaces qui minimisent les temps de trajet et réduisent les émissions.
- Énergie : Dubai Electricity travaille avec Microsoft depuis 2020 pour utiliser l’informatique quantique pour l’optimisation énergétique.
- Prévisions météorologiques : IBM utilise l’informatique quantique pour des prévisions météorologiques plus précises et instantanées.
- Finance : afin d’améliorer les analyses des risques, la startup française PASQAL travaille sur une approche quantique avec le Crédit Agricole afin de mieux anticiper les dégradations de notation de crédit des emprunteurs grâce aux algorithmes quantiques.
- Détection des fraudes : PayPal s’est associée à IBM pour utiliser l’informatique quantique afin d’améliorer et perfectionner ses systèmes de détection des fraudes.
L’avenir de l’informatique quantique est sur le point de révolutionner de nombreux secteurs, de la découverte de médicaments à l’optimisation du trafic, ouvrant ainsi la voie à d’énormes possibilités et résolvant des problèmes complexes autrefois considérés comme impossibles.
Avec les progrès impressionnants des ordinateurs quantiques, il reste encore plusieurs défis à relever. Les préoccupations concernant la sécurité quantique et l’utilisation abusive potentielle de la technologie nécessitent un examen attentif et un développement responsable. Les ordinateurs quantiques peuvent briser les algorithmes de chiffrement les plus courants, tels que le système cryptographique à clé publique RSA. Ce problème peut être résolu par un changement coûteux des algorithmes de cryptographie mais ce n’est pas réaliste. Cependant, retarder le changement des techniques de chiffrement comporte un risque inhérent. « L’ANSSI encourage toutes les industries à inclure la menace quantique dans leur analyse de risques et à envisager d’inclure des mesures de protection quantique dans les produits cryptographiques concernés » [7].
Par ailleurs, les obstacles techniques tels que l’évolutivité, la correction d’erreurs et le maintien de la cohérence des qubits restent des défis importants nécessitant une recherche et un développement continus. Il existe également un énorme déficit de talents ; des compétences qualifiées possédant des expertises en matériel, en logiciels et en algorithmes quantiques sont cruciales, mais actuellement rares.
Malgré les défis, l’avenir de l’informatique quantique semble prometteur grâce à des investissements, des recherches et une collaboration continus.
Des progrès significatifs peuvent être attendus dans les années à venir.
[1] https://www.bcg.com/publications/2022/can-europe-catch-up-in-quantum-computer-race
[2] https://cnrsbeijing.cnrs.fr/10821-2/
[3] https://www.quantum.gov/
[4] https://www.whitehouse.gov/briefing-room/statements-releases/2022/05/04/national-security-memorandum-on-promoting-united-states-leadership-in-quantum-computing-while-mitigating-risks-to-vulnerable-cryptographic-systems/
[5] https://www.entreprises.gouv.fr/fr/actualites/strategie-quantique-lancement-d-plateforme-nationale-de-calcul-quantique
[6] IBM a été la première a annoncé en 2016 un premier ordinateur quantique pour les chercheurs.
[7] https://cyber.gouv.fr/publications/avis-de-lanssi-sur-la-migration-vers-la-cryptographie-post-quantique-0